Il semblerait que personne ne sache quoi vraiment faire ou penser à ce stade. C'est assez impressionnant. Couvre-feu, masque, gel... Il existe à présent tant de règles que personne ne respecte jamais totalement, ou bien trop (moi y compris). Il est très difficile de se situer.
Chacun, à sa façon, gère son rapport avec le virus, et donc avec le danger. Ce jeu intellectuel devient compliqué et repose sur une perception de soi liée à l'immortalité. L'idée première, c'est que le virus touchera les autres plutôt que soi pour pouvoir continuer à vivre et ne pas céder à la panique. Certains n'acceptent pas cette idée et s'isolent. D'autres s'y attachent bien trop et prennent des risques réels. De la même façon, le port des masques, les gestes barrières, s'ils diminuent les risques, prennent aussi valeur de rituel : la personne qui les exécute se sent protégée, immunisée, comme s'ils annulaient tout risque de contamination. Les gens se sentent protégés. Et puis, il y a l'idée du complot, qui inonde les réseaux sociaux et le monde. Dans ce contexte, le respect ou non de la règle prend une valeur politique symbolique, une idée de la rébellion à l'ordre établi qui interroge.
Chacun, à sa façon, gère son rapport avec le virus, et donc la restriction des libertés. Je pense que les gens n'ont pas perdu leur intelligence individuelle, (quelle que soit son étendue). Ce qui m'inquiète, c'est le caractère étatique et politisé de l'interdit. Nous avons grandi dans l'habitude de la liberté. Nous savons donc prendre nos distances avec la règle. Mais qu'arrivera-t-il si la situation perdure ? Si les différents gouvernements internationaux en profitent pour institutionnaliser de façon pérenne des lois liberticides ? Je constate avec inquiétude la montée d'un repli sur les lèvres, dans les comportements. De l'autocensure. De plus en plus, le vieux combat liberté/sécurité se solde par l'incontestable victoire de la sécurité.
Chacun, aussi, commence à comprendre l'ampleur de la crise qui s'annonce. Je me promène dans la rue et je constate les magasins en liquidation, les fermetures définitives, les gens qui vivent de plus en plus dans la rue aussi. Les gens, à raison, s'inquiètent pour leur travail. Pour l'avenir.
Dans ce cadre, qu'en est-il de la littérature ? Pourquoi, comment continuer à écrire ? Ces questions me préoccupent. Je ne suis qu'une petite autrice, je ne suis pas allée très loin. Quel intérêt pour moi de continuer ? Qu'est-ce que je peux apporter à un public ? Pourquoi encore lire, quand d'autres choses occupent les esprits ? Les maisons d'édition se retrouvent en difficulté, la culture est sinistrée. Je ne sais honnêtement pas si je serai publiée un jour, pour un roman ou autre chose. Les petites maisons, qui me publiaient jusqu'à présent, sont de plus en plus nombreuses à mettre la clé sous la porte.
Malgré tout, je ne renonce pas. Au contraire, je persiste à penser que ce que j'écris est important. Parce que je propose une vision différente du monde, déjà. Personnelle, parfois allant à l'encontre de ce qui est attendu. En tout cas, je veux continuer à faire réfléchir, d'une façon ou d'une autre. C'est si important pour moi. Et cela passe par l'écriture. Il s'agit aussi pour moi de continuer à proposer un contenu de qualité aux autres, une façon d'élever son esprit. Et surtout, je voudrais offrir une porte de sortie. Oui, cette polarisation des opinions, de la société m'inquiète. Mais n'est-ce pas justement maintenant que rêver à autre chose, se réinventer devient vital ? J'y crois. Je reste idéaliste. Et je ne renonce pas.