Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au fil des étoiles
27 juillet 2016

Le refuge (nouvelle écrite pour l'AT Sombres Tombeaux)

St Raphaël 001

 

Le refuge

 

            Aliénor ramena sa cape sur ses épaules dans un geste protecteur dérisoire. Pourquoi était-elle venue ? Maintenant qu’elle était là, elle regrettait la chaleur du foyer qu’elle venait de quitter. Le vent s’insinuait entre les plis du tissu, la glaçant jusqu’aux os, une légère pluie la faisait cligner des yeux et il n’y avait pas de lumière. Aliénor hâta le pas. Elle ne voulait pas se faire remarquer. Les grilles du cimetière étaient fermées : elle avait dû entrer par effraction. Pourquoi Ghislain lui avait-il donné rendez-vous ici ? Son attirance pour les tombeaux le perdrait ; ils auraient mieux fait de se retrouver ailleurs.

            À la réflexion il en valait la peine. Il en avait toujours valu la peine, aussi loin qu’elle se souvienne. Il lui était précieux. Aliénor essaya d’oublier sa contrariété. La lune jouait sur ses humeurs, elle le savait ; elle devait lutter pour ne pas se laisser influencer. Elle pivota sur sa droite et compta dix caveaux avant de tourner à gauche. Sa destination était proche. Tant mieux. Aliénor n’aimait pas les cimetières, surtout la nuit. Elle les trouvait lugubres. Cela lui rappelait les temps éloignés où des cérémonies occultes s’y tenaient. La mort... Elle les menaçait tous, à tout moment. Aliénor aussi, les tombes ne le lui rappelaient que trop.

            Elle repéra enfin le mausolée qu’elle cherchait. La famille Grimm était réputée en ville comme en témoignait l’imposant bâtiment orné de gargouilles gothiques. Aliénor poussa la grille et s’engouffra à l’intérieur. Elle essaya de regarder droit devant elle sans faire attention aux ossements et aux ossuaires qui ornaient les murs. Elle descendit avec prudence, une marche après l’autre, ses pas résonnant contre les dalles de marbre. Ce serait bientôt fini. Au bout d’un couloir, deux flambeaux encadraient un lourd battant de bois. Aliénor poussa la porte avec un soupir de soulagement. Elle était arrivée.

 

***

 

            Ghislain salua l’entrée d’Aliénor avec une moue d’agacement. Elle était toujours en retard. Il leva la main pour lui faire signe de le rejoindre. Il avait choisi une table au fond de la salle, sa place fétiche. Elle se fraya un chemin parmi les habitués et s’installa en face de lui avec un sourire d’excuse. Il avait déjà commandé sa boisson préférée.

            — Tu sais que je n’aime pas quand les gens se font attendre, dit-il d’une voix boudeuse.

            — Désolée, répondit-elle. J’ai eu du mal à arriver jusqu’ici sans me faire remarquer.

            Elle repoussa la cape qui recouvrait son visage d’un geste gracieux, révélant son épaisse fourrure grise et ses crocs.

            — Vous n’avez pas ce problème-là, vous, les vampires, ajouta-t-elle.

            Ghislain haussa les épaules et lui tendit son verre. Aliénor trinqua et attaqua sa boisson avec un regard assoiffé.

            — Peut-être, dit-il. Mais les zombies se repèrent plus que les loups-garous dans une foule et est-ce qu’Edmond a déjà été en retard ? Non, jamais.

            Aliénor poussa un soupir.

            — C’est bon, grommela-t-elle. Je suis désolée, je te l’ai déjà dit. J’essayerai de faire mieux la prochaine fois. D’ailleurs, où est Edmond ?

            — Il n’a pas pu se libérer ce soir, expliqua Ghislain. Il n’y a que nous deux.

            — Formidable, un tête-à-tête, comme si je n’avais pas déjà eu une journée assez ennuyeuse, répondit Aliénor avec un sourire malicieux.

            Ghislain leva les yeux au ciel.

            — Tu ne pourrais pas m’avoir même si tu y mettais du tien, dit-il, vexé.

            — Ça tombe bien je n’en ai pas envie, répliqua Aliénor. Cesse tes stupidités et dis-moi plutôt comment tu vas.

            Ghislain sourit.

            — Pas trop mal, avoua-t-il. J’ai réussi à me trouver une planque avec tout le confort nécessaire. On ne me cherchera pas là-bas. Nous sommes plusieurs vampires et nous avons de quoi nous sustenter, si tu vois ce que je veux dire.

            — Je vois toujours ce que tu veux dire, précisa Aliénor. Tu t’es créé un harem avec tes compères. Empli d’hommes et de femmes en pâmoison. Sais-tu que les humains sont tout de même des êtres vivants ?

            Ghislain lui lança une moue dédaigneuse.

            — Comment oses-tu les défendre avec ce qu’ils nous font subir ? demanda-t-il. Ils nous traquent et tu les défends ?

            — Ce n’est pas parce qu’ils sont cruels envers nous que nous devons agir comme eux, répondit Aliénor.

            — Toi et tes grands principes, tu es bien une lycanthrope, constata Ghislain. Mais ne t’inquiète pas nous ne leur faisons pas de mal. Ce sont des paumés, des personnes sans toit, sans famille. Nous leur donnons cela. Ils viennent nous trouver d’eux-mêmes, ils sont volontaires. Laisse-moi en profiter un peu. Je n’ai pas eu l’occasion de me détendre ces dernières décennies.

            — Je sais, confirma Aliénor. Excuse-moi. C’est vrai que les humains ne sont pas tendres, je suis la première à en subir les conséquences. Heureusement, nous sommes à l’abri ici.

            Ghislain acquiesça et jeta un regard satisfait autour de lui. Il était heureux à Sombres Tombeaux. Avec le temps, c’était devenu plus qu’un bar : c’était devenu un refuge pour créatures magiques. Elles y venaient inlassablement en quête d’un abri, de réconfort, de nourriture. C’était un endroit de liberté, un havre de paix au cœur du chaos. Il était surtout bien situé. Les humains craignaient les cimetières, cela leur rappelait qu’ils dépérissaient jusqu’à mourir. Ils les fuyaient. Ghislain ne craignait pas la mort. Il craignait que les humains parviennent à le traquer et le fassent souffrir. Leur but était l’anéantissement des créatures magiques, quelles que soient leur origine ou leur espèce.

            C’était pour cela que Sombres Tombeaux était né. Le bar était ouvert à toute heure du jour ou de la nuit. Il avait été fondé par un vampire une banshee et un zombie un siècle auparavant, quand les poursuites étaient devenues intenses. Ghislain ne s’y rendait que depuis une cinquantaine d’années mais il revenait toujours. Sombres Tombeaux était la seule constante dans sa vie. Il savait que tant que les humains seraient dominants, il serait en fuite. Il n’avait pas de pied-à-terre permanent, pas de demeure. Seulement des planques ; tout lui avait été confisqué. Mais il avait ce bar. C’était Aliénor qui l’y avait entraîné la première fois. Depuis, il était chez lui ici. 

            Ghislain parcourut la salle du regard. L’ambiance était tamisée, douce. L’assistance était nombreuse mais peu bruyante. Chacun discutait ou chuchotait dans son coin en sirotant sa boisson sans élever la voix. Des tentures rouges ornaient les murs pour donner un peu de chaleur au lieu et les lumières tamisées donnaient de l’intimité à la pièce. L’atmosphère était accueillante. Ghislain ne ressentait plus la température depuis longtemps mais ici, il avait l’impression d’être à l’abri, réfugié dans un cocon de confort. Nul ne pouvait l’atteindre, nul ne pouvait l’attaquer. À la table adjacente, deux goules étaient absorbées dans une discussion animée. Plus loin, une zombie embrassait un fantôme. Un groupe d’amis lycanthropes trinquait tandis que des incubes et des succubes tenaient le bar dans une cohésion impressionnante. Ghislain contempla avec délectation le spectacle gracieux de leurs corps en mouvement ; on aurait dit qu’ils dansaient.

            Il se tourna vers Aliénor. Il était heureux de la voir. Ils se retrouvaient de moins en moins depuis le début de la chasse aux créatures magiques. C’était difficile d’être réguliers. Sombres Tombeaux était leur repère, l’endroit où ils pouvaient se rencontrer en sécurité et sans être jugés. L’amitié entre les vampires et les loups-garous était mal considérée, Ghislain ne savait pas pourquoi. Il avait de la chance : en tant que vampire, il était respecté.

            Il savait que ce n’était pas le cas pour Aliénor, même parmi les lycanthropes. On jugeait ses fréquentations, critiquait sa féminité... Qu’était-elle, une louve-garou ? Le terme était étrange, ses sonorités presque vulgaires. Comme s’il était impossible qu’elle existe. Ghislain la plaignait. C’était une personne exceptionnelle et on ne lui laissait pas l’occasion de le prouver. Il savait à quel point elle devait lutter contre le monde entier. Encore aujourd’hui.

            — Et toi, comment vas-tu ? demanda-t-il avec une pointe de compassion dans la voix.

            Aliénor poussa un soupir. À bien l’observer, Ghislain constata que ses traits étaient tirés, son poil terni. Elle semblait ne pas avoir eu le loisir de se reposer depuis plusieurs jours.

            — J’avoue que ma situation est moins glorieuse que la tienne, confia-t-elle. J’avais réussi à rejoindre un groupe de lycanthropes en me faisant passer pour un mâle mais ils m’ont percée à jour et... Enfin, je te passerai les détails. Nous avons dû nous séparer. Je fais de nouveau bande à part. J’ai été prise en chasse plusieurs fois mais j’ai réussi à éviter les poursuites jusqu’ici. Les humains sont sur le qui-vive et seule, je ne peux pas me permettre de m’éloigner des villes.

            Ghislain l’écoutait avec attention. Il ne savait pas comment l’aider.

            — Que puis-je faire pour toi ? demanda-t-il.

            — Pas grand-chose, admit-elle. Tu es là, c’est déjà ça.

            Ghislain pensa à Edmond. Il avait eu tort de ne pas venir.

            — Tu pourrais peut-être rester ici, suggéra-t-il. Tu sais que le bar est ouvert à toute heure. Ils ne te chasseront pas. Cela te laisserait le temps de te reposer, je sais qu’il y a une arrière-salle quelque part, des chambres. Je ne les ai jamais utilisées mais il paraît qu’elles sont confortables.

            Aliénor se passa une griffe gênée derrière l’oreille.

            — Je sais, dit-elle. C’est juste...

            Ghislain comprit. Elle n’avait pas de quoi payer.

            — Ne t’inquiète pas pour ça, s’empressa-t-il. Je m’en charge.

            — Tu ne devrais pas... commença-t-elle.

            Ghislain l’interrompit d’un geste de la main.

            — Allons, répondit-il. Tu sais que nous sommes au-delà de ce genre de convenances. Tu as besoin de moi et je peux t’aider. Tu ferais pareil si la situation était inversée. Nous sommes amis.

            Aliénor baissa les yeux mais hocha la tête.

            — Merci, murmura-t-elle. Je ne sais pas ce que...

            Ghislain ne l’écoutait plus. Un silence inhabituel s’était abattu sur le bar. Un silence hostile et médusé. Le vampire jeta un regard vers l’entrée. Il tira une dague de sa poche et laissa ses canines saillir le long de ses lèvres. Dans l’encadrement de la porte se tenait un homme.

 

***

 

            Aliénor s’interrompit. Ghislain ne l’écoutait plus.

            — Tuez-le avant qu’il puisse parler ! entendit-elle hurler.

            La lycanthrope fit volte-face. Elle ne mit pas longtemps à comprendre la situation. Tout le monde avait dégainé et menaçait l’humain qui se tenait devant eux. Que faisait-il ici ? Il n’avait pas l’air perdu. Ses vêtements étaient déchirés, son regard affolé. Mais ce n’était pas l’assemblée qu’il semblait craindre. C’était ce qu’il y avait à l’extérieur.

            — Attendez... murmura-t-il.

            À côté d’elle, Ghislain s’était levé et pointait déjà une dague vers sa cible. Les lycanthropes étaient en ordre de bataille, les goules s’avançaient d’un air menaçant et les démons du bar commençaient à incanter. Aliénor se sentait mitigée. Par prudence elle se mit en posture d’attaque, mais elle ne pouvait s’empêcher d’être intriguée. Si cet humain était entré c’était pour une bonne raison. Il devait connaître les risques. Et il ne faisait aucun geste pour attaquer ou se défendre. Elle était encore en train d’y réfléchir quand les démons lancèrent leurs sorts. Ghislain lâcha sa première dague. Aucun ne toucha sa cible, une bulle de protection s’était formée autour de l’inconnu.

            — C’est un mage ! hurla une zombie.

            La panique commença à s’emparer de la salle. Aliénor n’avait pas bougé ; l’humain non plus. Il n’attaquait pas. Il ne faisait rien. Il semblait tétanisé. La lycanthrope sentit une vague de pitié l’envahir. Cet homme n’était pas venu pour les tuer. Il était mage, il aurait pu les anéantir d’un geste de main s’il l’avait voulu. Il ne l’avait pas fait. Aliénor jeta un regard au reste de la salle. Certains s’étaient réfugiés vers le fond mais le groupe de loups-garous semblait décidé à agir. Ils allaient se jeter sur le magicien, sans doute dans le but de le déchiqueter. Aliénor cessa de réfléchir ; elle devait s’interposer.

            — Arrêtez ! rugit-elle.

            Elle bondit et se plaça entre l’humain et le reste de la salle dans un geste protecteur.

            — Celui qui voudra l’attaquer devra passer par moi ! hurla-t-elle.

            — Aliénor, qu’est-ce que tu fais ? s’écria Ghislain d’une voix affolée.

            La lycanthrope ne l’écouta pas. Elle se redressa.

            — Cet homme a quelque chose à nous dire et il ne nous agresse pas, dit-elle d’une voix forte. Nous ne pouvons pas le condamner à cause de son espèce ! Si vous voulez le tuer, laissez-le parler avant.

            — C’est un humain ! répliquèrent plusieurs voix.

            — Nous tous, à un moment de notre vie, avons été humains ! répliqua Aliénor. Il mérite que nous l’écoutions.

            Elle se tourna vers l’inconnu.

            — Vous n’aurez pas longtemps, lui glissa-t-elle. Si vous voulez parler, c’est maintenant. Soyez bref.

            L’inconnu acquiesça.

            — Les humains ne pourchassent pas que les créatures magiques, dit-il d’une voix faible. Ce qu’ils veulent détruire, c’est la magie. Même si pour cela ils doivent anéantir les leurs. Oui, je suis un humain, mais je suis surtout un sorcier. Ils sont après moi.

            — Et vous les avez amenés ici ? s’écria un incube. Vous êtes malade !

            — Je n’ai pas été suivi ! s’empressa de préciser l’inconnu. Nous étions un groupe et j’ai réussi à m’enfuir.

            — Cet endroit n’est plus sûr, dit une goule. Si un humain a réussi à le trouver d’autres le pourront. C’est inévitable ! Partons.

            — Laissez-lui le temps de s’expliquer, intervint Aliénor. Il n’a pas l’air d’avoir découvert ce bar par hasard.

            — Bien sûr que non, enchaîna l’inconnu. Cela fait quelques semaines que nous avons entendu parler d’un tel endroit.

            — Qui ça « nous » ? intervint Ghislain, sur la défensive.

            — Je ne suis pas le seul sorcier, expliqua-t-il. J’avais rejoint un groupe de réfugiés au nord d’ici, quelques créatures magiques isolées étaient là aussi. Un spectre, un satyre et un djinn. Nous savions que nous serions découverts à un moment ou à un autre. Nous avons partagé le secret de plusieurs cachettes dans les alentours. Cela vient de me sauver la vie.

            — C’est bien beau mais vos amis ont oublié de vous préciser que nous n’accueillons que les créatures magiques, dit un fantôme d’une voix énervée. Les humains sont une menace. Tous les humains.

            — Vous me jetteriez dehors ? demanda l’inconnu, incrédule.

            — Sortez ou mourrez, renchérit une succube.

            Le sang d’Aliénor ne fit qu’un tour.

            — Vous êtes devenus fous ? s’écria-t-elle, révoltée. Sombres Tombeaux est plus qu’un bar, vous le savez ! C’est un refuge, un asile pour toutes les personnes persécutées et perdues. Et vous reviendrez sur votre parole, juste parce que c’est un humain ? Il mérite notre protection !

            Un silence gêné emplit la salle mais l’ambiance demeura hostile. Ghislain s’approcha lentement. Aliénor lui sourit. Elle savait qu’il se joindrait à elle. Il lui posa une main rassurante sur l’épaule.

            — Tu ne devrais pas te mêler à ça, glissa-t-il. Éloignons-nous.

            Aliénor ne parvenait pas à croire ce qu’elle entendait. Elle était furieuse.

            — C’est hors de question ! grogna-t-elle. Personne ne fera de mal à cet homme ! Il est sous notre protection.

            Ghislain lui adressa un regard d’incompréhension mais Aliénor était sûre d’elle. Elle lança un grognement menaçant aux habitués ; personne n’osa se dresser contre elle. Elle était dans son bon droit.

            — Vous êtes responsables des conséquences de ses actes, dit un des démons. Si jamais il nous trahit ou s’il nous fait du mal, nous nous en prendrons à vous.

            Aliénor acquiesça et entraîna l’humain vers une table. Les dés étaient jetés.

 

***

 

            Ghislain suivait Aliénor, déboussolé. Il ne comprenait pas ce qu’elle venait de faire. Était-elle devenue stupide ? Pourquoi accueillir un humain ? C’était un piège ! Et elle s’en portait garante en l’impliquant ? Il n’était même pas d’accord avec elle ! Il retourna s’installer à sa table avec l’impression que son monde avait basculé. Lui, avec un humain, chez Sombres Tombeaux ? Alors qu’il s’était senti si serein quelques minutes auparavant, il ne pouvait empêcher l’angoisse de l’envahir.

            Ghislain dévisagea l’inconnu avec méfiance. Sa peau avait l’éclat dérangeant de la vie et ses yeux pétillants luisaient de malice. Sa tenue ne ressemblait pas à celle d’un sorcier ; on aurait dit un vagabond. Il était jeune mais ses cheveux sombres se nuançaient de fils d’argent, comme s’il avait vieilli avant l’heure. L’effet d’un sort qui avait mal tourné ?

            — Vous êtes en sécurité, à présent, dit Aliénor avec un sourire rassurant. Nous vous protégerons.

            Ghislain détourna son attention de l’inconnu pour s’adresser à son amie.

            — Pourquoi sembles-tu convaincue que je suis de ton avis ? demanda-t-il. Cet homme est dangereux et je ne soutiens pas ta décision !

            — Toi aussi, tu es dangereux, répliqua Aliénor. Tout le monde ici est dangereux. Cela ne nous empêche pas de vivre en bonne entente et de nous entraider.

            — Nous ne sommes pas dangereux les uns pour les autres ! s’écria Ghislain.

            Il but une gorgée pour essayer de se calmer. Sans y parvenir.

            — Ce n’est pas le sujet, poursuivit-il en posant sa chope d’un geste rageur. Que comptes-tu faire de lui ? Tu ne sais même pas où dormir ce soir !

            Aliénor sourit d’un air gêné.

            — Je sais, je vais encore devoir compter sur toi pour... commença-t-elle.

            Ghislain sentit la colère l’envahir.

            — Hors de question ! s’exclama-t-il. Pour toi, c’est une chose, mais je refuse de payer pour lui ! On ne sait même pas qui il est !

            Un toussotement attira son attention.

            — Philibert, se présenta le sorcier. Je m’appelle Philibert. Et je partirai dès que j’aurai une cache plus sûre. Vous vous doutez bien que si je suis ici c’est parce que je n’avais pas le choix. Je ne m’attendais pas au meilleur des accueils.

            — Pourquoi êtes-vous pourchassé, pour commencer ? répliqua Ghislain.

            — Je vous l’ai dit, je suis sorcier, dit Philibert. J’ai eu des propos contestés en faveur de la magie. Qu’elle ne devrait pas être interdite, que nous devrions nous allier avec les créatures magiques plutôt que d’en avoir peur... Enfin, vous connaissez ce genre de discours.

            — Justement, non, répondit Ghislain d’un ton sec. Je n’ai jamais rien entendu de tel dans la bouche d’un humain. Et je me méfie.

            Le vampire décida de ne plus faire attention à l’homme. Il n’en valait pas la peine. Il reporta son regard sur Aliénor.

            — Pourquoi n’est-ce pas ton cas ? demanda-t-il. Pourquoi lui fais-tu confiance ? Tu te risques pour lui et je ne comprends pas pourquoi.

            — Et moi, je ne comprends pas pourquoi tu as si peu de cœur, répondit la lycanthrope. Tu sais ce que c’est que d’être rejeté, comme moi. Tu sais aussi, comme je l’ai dit, que nous avons été humains un jour. Ne mérite-t-il pas le bénéfice du doute ? Il cherche notre protection. Il en a besoin. Je la lui accorde.

            — Je ne pense pas que... commença Ghislain.

            — Ça suffit, le coupa Aliénor. Je te suis reconnaissante pour ta sollicitude mais ma décision est prise. Je ne t’oblige pas à m’aider. Tu as proposé de me payer un logement et je t’en suis reconnaissante. Si veux toujours le faire, j’accepte ta proposition. Mais ce ne sera pas à tes conditions. Ce sera aux miennes.

            Ghislain se tut. Il se sentait outré. Il jeta un regard à Philibert, puis à Aliénor. Il s’était promis de l’aider. Ce n’était pas parce qu’il le faisait qu’il avait le droit de la juger. Malgré sa colère, il ne pouvait pas la laisser sans ressource. Il ne supporterait pas l’idée de ne pas savoir où elle passerait la nuit. Qui elle inviterait à partager sa bonne fortune ne le regardait plus. Il ne pouvait se défaire de l’idée qu’Aliénor se trompait. Que Philibert n’était pas une bonne personne. Qu’elle finirait par les trahir. Ghislain n’interviendrait pas, il laisserait Aliénor se débrouiller. Il paierait sans la soutenir et il surveillerait la situation de loin, dans l’ombre. Elle méritait ce qui risquait de lui arriver, malgré toute l’amitié qu’il avait pour elle.

            — Tiens-moi au courant quand cette histoire sera terminée, dit-il en se levant. Nous boirons un verre. Sans lui, cela va de soi.

            Sans un mot, il se leva et se dirigea vers le comptoir pour régler les frais de son amie. Il paierait ce qu’elle voudrait, sans doute plus. Pour sa sécurité. Mais il ne lui donnerait aucune occasion de croire qu’il la soutenait. Elle était seule.

 

***

 

            Aliénor jeta un regard à la chambre. Elle était spacieuse, meublée avec goût, chaude, protégée des agressions extérieures... Elle devait le reconnaître, Ghislain s’était montré généreux. Elle n’aurait pas pris une telle chambre pour elle même si elle en avait eu les moyens. Le long du mur, un canapé confortable servirait de couche à Philibert. Sa stature de lycanthrope l’empêchait de se satisfaire d’autre chose que du lit : elle avait besoin de place pour dormir. Les restes d’un repas somptueux reposaient sur une table.

            Aliénor n’avait pas autant mangé depuis des mois. Son corps était enfin soulagé des nécessités les plus urgentes. Son esprit, lui, était agité. Elle avait la conviction d’avoir bien agi en protégeant Philibert mais elle aurait souhaité le soutien de Ghislain. Son rejet était d’autant plus violent que la pièce qu’il lui avait procurée était magnifique. Il s’inquiétait pour elle, il voulait la protéger, mais il lui était impossible de partager ses convictions. Cela blessait Aliénor.

            — Merci.

            La lycanthrope se retourna. C’était Philibert.

            — J’aimerais pouvoir faire plus, dit-il. Cela m’est impossible. Je vous suis redevable.

            Aliénor sourit.

            — Ghislain a raison, dit-elle pourtant. C’est étrange que vous soyez venu ici. N’aviez-vous pas d’autre cachette à explorer ?

            — Si, admit le sorcier. Mais nous étions un groupe nombreux et le but était de nous séparer pour brouiller les pistes. Je suis allé à l’endroit où les autres étaient le moins susceptibles de se rendre. Et j’avoue que j’étais curieux de rencontrer des créatures magiques. Vous me fascinez. J’aimerais que vous puissiez être acceptés, libres. Votre puissance fait peur comme la mienne. Je pense que c’est pour cela que nous sommes pourchassés. Parce que, comme le disait votre ami, nous sommes dangereux.

            — Vous êtes un humain, dit Aliénor. Ne vous sentez-vous pas un peu coupable ?

            Philibert la dévisagea, interloqué, puis éclata de rire.

            — Vous êtes sérieuse ? demanda-t-il. Mais vous êtes aussi humaine que moi ! Comme vous, j’ai une part de magie et une part d’humanité. Vous cachez simplement la vôtre. Je suis assez instruit pour savoir que non seulement vous êtes tous issus de l’humain, à un degré ou à un autre, mais que les lycanthropes ne vivent pas sous leur forme de loup à loisir. Dites-moi, nous sommes bien loin de la pleine lune, il me semble. Pourtant vous êtes là, devant moi, avec vos crocs et vos beaux poils... Vous voyez où je veux en venir ?

            Aliénor poussa un soupir et s’allongea sur son lit.

            — Vous êtes bien renseigné, remarqua-t-elle. Mais vous avez raison. Je bois une potion pour conserver un aspect stable, une fois par jour. La plupart des lycanthropes le font.

            — Pourquoi ? demanda Philibert.

            — Parce que nous haïssons les humains ? répondit Aliénor.

            — Ce n’est pas ce que je veux dire, précisa le sorcier. Pourquoi vous faites-vous souffrir ?

            — Qui vous dit que ça fait souffrir ? répliqua-t-elle.

            — Ne me prenez pas pour un imbécile, dit Philibert. Je suis un sorcier. Je sais que la magie a un prix et que les potions ont un effet secondaire.

            Aliénor haussa les épaules.

            — Je n’ai pas besoin de me faire remarquer, expliqua-t-elle. Je prends ces potions pour me fondre dans la masse.

            Philibert poussa un soupir et prit place sur son canapé.

            — Ce n’est pas parce que vous restez silencieux que je ne sens pas votre désapprobation, ajouta Aliénor. Ce n’est pas la première fois de la journée. Si vous avez quelque chose à dire, faites-le.

            — Je... Pardon, je ne vous connais pas, s’excusa Philibert. C’est juste que je ne comprends pas pourquoi vous ne profitez pas de votre avantage. Vous êtes humaine une bonne partie du mois. Pourquoi ne pas vous joindre à eux plutôt que de chercher à vous faire accepter ici ? Que vous le vouliez ou non, votre apparence réelle vous permet de les rejoindre. Vous devriez utiliser vos particularités plutôt que de les rejeter.

            Aliénor souffla la bougie et savoura l’ombre salvatrice. Bien sûr, elle avait une vision nocturne ; pas Philibert. Il ne devait pas voir à quel point son argumentation l’avait touchée. Aliénor ne s’était jamais posé la question de son humanité. L’humain était l’ennemi, celui qui voulait les tuer. C’était aussi l’inférieur, celui qui n’avait pas toutes les capacités nécessaires à une survie optimale. Aliénor avait commencé à prendre les potions depuis qu’elle était devenue loup-garou. Elle ne savait plus depuis combien de temps. Des décennies. Elle cessait de les prendre une semaine avant la pleine lune et les reprenait quelques jours après. Elle devait y penser chaque jour, ne pas les oublier et se les procurer régulièrement. Si elle manquait ne serait-ce qu’une dose, ses poils commençaient à disparaître.

            Elle avait tellement de mal à se faire accepter parmi ses congénères... Se faire accepter, c’était son problème. Cela avait été difficile parmi les loups-garous, surtout en tant que femelle. Peut-être que si elle était humaine... En était-elle réduite à cela ? À rejoindre les humains ? D’un autre côté, n’apprécierait-elle pas de passer une journée dans l’anonymat sans se préoccuper d’être poursuivie ? Elle serait peut-être dans une ville humaine, mais elle serait libre. L’idée lui faisait peur ; elle se promit d’y réfléchir. Aliénor s’installa confortablement et ferma les yeux. Demain, elle y réfléchirait demain.

 

***

 

            Ghislain jeta un regard circulaire sur la salle et trouva aussitôt Aliénor. Elle était seule, une chope posée devant elle. Ce n’était pas une surprise. Cela faisait deux mois que les événements avec le sorcier avaient eu lieu. Depuis, elle avait été rejetée par la communauté des créatures magiques même si son ami humain ne s’était plus montré. Ghislain se doutait qu’il était encore quelque part dans le coin : il réglait des repas pour deux depuis trop longtemps pour douter. Il savait que les lycanthropes avaient de l’appétit, mais à ce point... Ghislain espérait pouvoir discuter avec Aliénor. Peut-être s’était-elle résolue à abandonner son soutien stupide ? Le vampire, pour sa part, n’avait pas changé d’avis. Il se laissa tomber sur une chaise en face de son amie.

            — Comment vas-tu ? demanda-t-il.

            À sa surprise, elle semblait radieuse.

            — Je vais bien, en partie grâce à toi Ghislain, reconnut-elle. Tu m’as aidée à me remettre sur pied. Je te remercie.

            Le vampire sourit.

            — Ce n’est rien, dit-il. Tu en avais besoin.

            — Tu sais que j’ai compté chaque centime que tu as investi et que je compte bien te rembourser ? demanda-t-elle. D’ailleurs, je serai en mesure de le faire d’ici quelques semaines.

            Ghislain lui lança un regard étonné.

            — Comment est-ce possible ? interrogea-t-il.

            — Philibert va m’avancer une partie de la somme et je vais essayer de gagner le reste en travaillant, expliqua-t-elle.

            — Je ne veux pas de son argent, répondit Ghislain. Nous ne sommes pas pressés. Et tu parles d’un travail ? Où ça ? Quand ? Et surtout, comment ?

            Aliénor se passa une patte timide sur le visage.

            — Je... hésita-t-elle. Je ne suis pas encore sûre de le tenter mais... Je pense que je vais essayer d’être humaine une partie de l’année.

            Ghislain ne savait pas quoi dire. Il était bouche bée.

            — Je sais ce que tu te dis, ajouta Aliénor. Que j’ai perdu l’esprit. C’était aussi mon avis mais plus le temps passe, plus je me dis que je n’ai aucune raison de ne pas essayer. J’ai envie de voir l’effet que ça aura. Peut-être, avec le temps, parviendrai-je à convaincre les humains que nous ne leur voulons pas de mal ? Philibert pense que c’est possible.

            Cette fois-ci, Ghislain n’était pas capable d’en entendre davantage.

            — Es-tu naïve à ce point pour penser que les humains vont t’accepter ? demanda-t-il. Tu sais bien que c’est faux ! S’ils se rendent compte que tu es différente ils s’en prendront à toi ! Tu as des années d’expérience dans le domaine, pourquoi sembles-tu les avoir oubliées ?

            — Je ne les ai pas oubliées, répondit Aliénor. Je veux juste essayer pour voir ce que ça fait !

            Ghislain poussa un profond soupir. Il sentait l’angoisse l’envahir de façon irrépressible.

            — Tu cours à ta perte, dit-il. Je t’ai laissé faire jusque-là parce que je te respecte, mais j’avoue que je suis inquiet pour toi. Tu vas risquer ta vie de façon stupide !

            — Pas si je parviens à faire cesser cette guerre contre la magie, répliqua Aliénor. C’est elle qui est stupide. Philibert dit qu’il a une solution.

            Cette fois-ci, Ghislain étouffa un éclat de rire. Voyant le regard furieux de son amie, il essaya de se retenir.

            — Bien sûr, il surgit de nulle part et il a une solution miracle à une guerre qui dure depuis des décennies, dit-il. Tu ne crois pas que nous avons déjà essayé ?

            — Parce que d’autres ont essayé et échoué nous sommes des incapables ? renchérit Aliénor. Même si c’est désespéré, je suis prête à prendre le risque. Cela fait des années que Philibert travaille sur sa formule : une potion qui pourrait changer le monde, faire accepter les créatures magiques comme si elles étaient humaines. Je veux l’aider. Et j’aimerais que tu l’aides aussi : il a besoin d’un extrait de peau de vampire.

            Ghislain leva les yeux au ciel.

            — C’est hors de question ! s’écria-t-il. Pourquoi ferais-je ça ? C’est complètement fou ! Je ne sais pas ce qu’il trame. Il est en train de te tromper ! Comment peux-tu faire confiance à un humain et pas à moi, ton ami ?

            Aliénor baissa les yeux. Son regard était triste.

            — Philibert est la première personne que je rencontre à m’accepter comme je suis, glissa-t-elle.

            Ghislain se sentit envahi par l’indignation.

            — Moi aussi je t’accepte telle que tu es ! s’écria-t-il.

            Aliénor eut un faible sourire.

            — En tant que loup-garou, bien sûr, acquiesça-t-elle. Mais rien de plus. C’était la même chose pour mes parents : ils m’acceptaient en tant qu’humaine. Pas le reste. Philibert est le premier à prendre en compte les deux facettes de ma vie, celle de la créature magique et l’autre, plus secrète.

            Ghislain la dévisagea avec stupeur.

            — Mais... balbutia-t-il. Tu es une créature magique. C’est comme si je disais que je suis autant humain que vampire.

            À sa grande surprise, Aliénor posa sa main sur la sienne. Elle souriait.

            — Je suis désolée de te le dire, mais tu l’es, glissa-t-elle. Tu l’es plus que tu ne veux l’admettre. 

            C’en était trop pour Ghislain. Il se leva.

            — Je te répète ce que je t’ai dit la dernière fois, dit-il d’une voix froide. Appelle-moi quand tu te seras séparée de Philibert. Pour de bon, cette fois.

            Le vampire prit le chemin de la sortie d’un pas résolu. Il ne pouvait plus supporter de voir Aliénor dans cet état. Il n’aimait pas ce qu’elle lui disait et il se méfiait de l’homme. Il y avait quelque chose d’étrange dans son plan, dans sa façon de parler. Ghislain en avait assez de faire l’autruche. Il allait aider son amie sans rester auprès d’elle. Il allait mener sa propre enquête, dans son coin. Il en aurait le cœur net. Et il s’y mettait dès maintenant.

 

***

 

            Aliénor prit une profonde inspiration. Tant qu’elle n’avait pas franchi la limite de la ville, elle pouvait encore renoncer. Les passants ne la remarquaient pas. Ils avançaient, vaquaient à leur tâche. C’était jour de marché. L’atmosphère était paisible, simple, loin des poursuites précipitées et des attaques féroces. Personne n’était armé. Personne n’était sur la défensive. Il y avait des gardes aux portes ; ils n’étaient que deux. Qu’auraient-ils pu faire face à des créatures magiques ? Pas grand-chose. C’était comme si cette zone n’avait jamais été touchée par la violence. Comme si elle reflétait une paix perpétuelle. Aliénor se sentait loin de Sombres Tombeaux, où elle était sur la défensive quand c’était supposé être un lieu de liberté. Elle essaya de se décider à avancer ; elle savait qu’elle tergiversait.

            Pourtant elle ne le pouvait pas, pas encore. Elle était heureuse d’être là, sans bouger, parmi les humains. De se sentir humaine elle aussi. Cela faisait une semaine qu’elle avait abandonné l’usage de la potion. Ses poils avaient disparu et ils n’avaient pas repoussé ; ils le feraient à la prochaine lune. Elle ressemblait à une jeune femme. Était une jeune femme. Comme les autres. Elle pouvait entrer dans la ville. Malgré le soleil automnal, Aliénor avait ramené sa capuche sur son visage. Une crainte presque superstitieuse d’être reconnue s’était emparée d’elle.

            Elle se sentait étrange. Dans un geste nerveux, elle ne pouvait s’empêcher de toucher sa peau si lisse. Elle avait perdu son pelage soyeux, ses crocs, sa taille. Sa peau était douce mais Aliénor se sentait nue, vulnérable. Le vent se faufilait dans les moindres recoins, elle avait l’impression d’être à vif, de ressentir plus que quand elle avait sa fourrure. C’était intéressant. C’était rafraîchissant. Aliénor avait l’impression d’être libre.

            La jeune femme jeta un nouveau regard autour d’elle. Personne ne faisait attention à ce qu’elle faisait, vraiment personne. Elle était arrivée si loin... Ce n’était pas pour reculer. Aliénor prit son courage à deux mains et repoussa la capuche en arrière. Les sensations se bousculèrent sur sa peau. Elle ne put s’empêcher de sourire. Elle pouvait se promener. La jeune femme fit un premier pas... Puis un autre, et encore un autre. Elle se faufila parmi la foule avec aisance, profitant du moindre instant.

            Les couleurs étaient belles, vivaces. Elle sentait moins les odeurs qu’à l’ordinaire mais c’était agréable. Elle se maîtrisait mieux. Elle s’approcha d’un étalage et acheta quelques pommes. Personne ne la dévisagea. Personne ne la considéra comme différente. Personne ne se méfiait d’elle. Aliénor sentait son cœur bondir d’excitation dans sa poitrine. Tout était nouveau et familier. Cela la ramenait à des temps anciens, des années auparavant... Elle se sentait bien. Elle se sentait elle-même. Elle avait pris la bonne décision, quoi qu’en dise Ghislain. Seule.

            Philibert ne l’avait pas influencée. Il n’avait rien dit depuis son commentaire du premier soir, il était absorbé par la mise au point de sa potion. Aliénor avait réfléchi par elle-même et elle était déterminée à s’accepter comme elle était. Enfin. Elle avait aussi décidé d’aider Philibert. Aujourd’hui, elle comprenait que les années qu’elle avait passées à fuir lui avaient fait perdre espoir. Sa rencontre avec le sorcier avait changé cela. Comme lui, elle voulait croire.

            C’était pour cette raison qu’elle avait prélevé un bout de peau sur Ghislain la dernière fois qu’elle l’avait vu. Elle savait que c’était mal, surtout parce que son ami avait signifié son refus. Elle n’avait pas pu s’en empêcher. En posant sa main sur la sienne, elle avait utilisé un bout d’ail qu’elle avait emporté en prévision. Elle l’avait appliqué, pas assez fort pour que Ghislain se rende compte de quelque chose mais suffisamment pour l’affaiblir et prélever de la peau morte du bout du doigt. Elle avait pu aider le sorcier.

            Elle le ferait un peu plus d’ici quelques jours, quand ses poils repousseraient à l’approche de la pleine lune. Le dernier ingrédient dont avait besoin Philibert était du poil de loup-garou naturel. Aliénor le lui fournirait sans hésitation. Elle croyait sa potion capable de changer le monde.

            Et qui ne souhaiterait pas une telle chose ? Elle aurait aimé que ses amis aient la liberté de se promener au grand jour avec elle. Elle aurait aimé que tous puissent être acceptés. Un instant, elle imagina la foule qu’elle parcourait parsemée de créatures magiques. Il y aurait des goules, des zombies, des fantômes... Tout le monde vivrait en harmonie. La rue en serait égayée. Chacun aurait sa place. Aliénor voulait y croire. Dans la fraicheur du matin, le vent courant sur sa peau, c’était bien plus qu’un rêve ou un espoir. C’était une possibilité. Et elle aiderait Philibert à la concrétiser.

 

***

 

            Ghislain était en chasse. Il faisait nuit et il avait trouvé une ville plutôt calme. Une ville dans laquelle il espérait trouver des réponses. Cela faisait plusieurs nuits qu’il était en quête d’informations sur Philibert. Pour l’instant, cela s’était soldé par un échec. Au début, la soif l’avait dominé ; il s’était laissé aller. Il avait tué plusieurs humains en leur retirant trop de sang et il avait commencé à être poursuivi. Ensuite, quelques victimes avaient réussi à fuir avant qu’il ne puisse obtenir des réponses. D’autres s’étaient suicidées sous ses yeux plutôt qu’avouer.

            Tous les humains qu’il avait croisés s’étaient montrés protecteurs envers Philibert. Ghislain en était d’autant plus méfiant : Philibert n’était pas n’importe qui. Un secret entourait sa présence à Sombres Tombeaux et Ghislain était résolu à trouver lequel. Sa chasse des derniers jours n’avait pas été infructueuse. Il avait trouvé des pistes précises qui lui désignaient les victimes les plus susceptibles de parler. Sa cible de la nuit était un homme d’une trentaine d’années, proche des sorciers. Il vivait dans une maison un peu à l’écart de la ville... et il dormait la fenêtre ouverte.

            Ghislain s’y faufila en silence. Une rapide inspection des alentours lui permit de confirmer que l’homme n’était pas sorcier lui-même. C’était un simple habitant. Une proie facile, en somme, de ce fait vulnérable... et prompte à opter pour le suicide. Ghislain décida de ne pas sous-estimer son adversaire. Il se permit un sourire. Ce soir, il opterait pour la séduction. Il avait besoin d’une victime consentante, pas d’une cible qui hurle ou cherche à se défendre. Le vampire parvint à la chambre et s’approcha du lit en douceur. Il bloqua toutes les issues et se glissa sous les draps, silencieux. Il devait faire croire à un rêve. D’un geste expert, il fit glisser son doigt sur la peau de l’homme. Comment s’appelait-il, déjà ? Ghislain essaya de se remémorer les informations qu’il avait collectées. Luc. Il s’appelait Luc.

            — Réveille-toi, bel éphèbe, murmura-t-il d’une voix tentatrice.

            L’homme entrouvrit les yeux et sourit. Ghislain devait assurer son emprise sur lui.

            — Oui, c’est moi, je suis là, glissa-t-il. Ce n’est pas un rêve... Je suis là pour toi.

            — Mon aimé, répondit Luc à voix basse.

            Il attira Ghislain à lui. Le vampire sortit ses canines et les planta dans la chair offerte. L’odeur du sang afflua à ses narines mais il se contrôla sans peine. Il avait besoin d’informations. Luc, lui, laissa échapper un gémissement de plaisir. Ghislain sourit. Une lampée, une toute petite lampée de plus... Ghislain incisa plus profondément la veine et lutta contre le vertige avant de retirer ses lèvres. Stop. C’était assez. Il ne devait pas se laisser emporter.

            — Encore, supplia Luc. Ne t’arrête pas.

            Ghislain se retint. Il le tenait, il ne devait pas échouer maintenant.

            — Luc, susurra-t-il. Parle-moi de Philibert et je t’accorderai ce que tu désires.

            L’homme laissa échapper un grognement contrarié mais il était sous le charme. Il ne pouvait pas lutter.

            — Philibert le sorcier ? demanda-t-il d’une voix morne. Celui des retransmissions ? Il n’y a rien à en dire... C’est le héros qui s’est introduit parmi les créatures magiques... Il s’est allié à une lycanthrope.

            Ghislain sentit l’excitation l’envahir. Enfin, il avait des réponses ! Pour récompenser son informateur, il s’autorisa à avaler une nouvelle gorgée de sang. Le vampire savait qu’il commençait à s’enivrer mais cela en valait la peine.

            — Quelles retransmissions ? glissa-t-il.

            — Tout le monde voit les retransmissions, tous les jours, expliqua Luc. C’est un résumé magique de ce qui s’est passé dans la journée. Philibert utilise ses pouvoirs pour nous montrer comment il va vaincre les créatures magiques...

            — Et comment va-t-il faire ? encouragea Ghislain.

            — Les créatures magiques... Les créatures magiques ! s’écria Luc.

            Soudain, il ouvrit les yeux, comprenant ce qui lui arrivait. Ghislain poussa un juron ; il n’aurait pas dû évoquer les mots capables de déclencher une telle réaction. Luc s’était rendu compte que ce n’était pas un rêve. Il prenait conscience de ce qu’on cherchait à lui faire faire.

            — Vous... Vous êtes un vampire, balbutia-t-il.

            L’homme recula, se laissant tomber hors du lit. Il remarqua la chambre close, les fenêtres fermées. Il se savait acculé.

            — Calme-toi, glissa Ghislain d’une voix calme. Je ne te ferai pas de mal. Je veux juste des réponses. Dis-moi ce que cherche à faire Philibert et je te laisserai tranquille.

            — Je... Je ne peux pas ! s’écria Luc. Je ne trahirai pas les humains ! Vous êtes un ennemi. Je dois vous vaincre ! Je mourrai s’il le faut !

            Ghislain se redressa et s’approcha de sa proie d’un pas nonchalant.

            — Oui, tu vas mourir si tu ne parles pas, admit-il.

            Cela sembla faire réfléchir Luc. Il se tut, médusé.

            — Je... Vous ne me ferez pas de mal si je vous dis ce que je sais ? demanda-t-il.

            Ghislain acquiesça.

            — Je te le promets, dit-il.

            — Philibert est un de nos meilleurs sorciers, expliqua-t-il. Il n’est pas pourchassé comme les autres, il s’est allié avec le gouvernement pour détruire les créatures magiques, sorciers compris. Il a trouvé la recette d’une potion capable d’éradiquer les créatures magiques en un seul coup. Nous suivons son évolution grâce aux retransmissions. Une histoire de réalité... Je n’ai pas bien compris. Ce que je sais, c’est qu’il ne lui manque qu’un ingrédient pour finir sa potion. Du poil naturel de lycanthrope.

            Ghislain retint une exclamation de surprise. C’était pour ça qu’il encourageait Aliénor à retrouver sa vraie nature ! Le vampire se félicita de sa prudence. Il savait qu’il y avait anguille sous roche ! Philibert avait toujours voulu profiter de son amie. Il allait parvenir à ses fins... Et c’était Ghislain qu’il avait financé ! Cette fois-ci, le vampire se morigéna pour son bon cœur. Il devait arrêter Philibert avant qu’il ne soit trop tard. Pourtant, l’interrogatoire n’était pas fini.

            — Je croyais qu’il lui manquait encore deux ingrédients, se souvint-il. On m’a parlé de peau de vampire...

            — Il l’a, répondit Luc. Il l’a depuis plusieurs jours.

            Un horrible doute envahit l’esprit de Ghislain. Se pourrait-il... Aliénor ? Il leva sa main et l’observa sous la lueur de la lune. Il constata avec frayeur qu’une mince estafilade remontait son dos. Elle était légère, déjà cicatrisée mais visible. Comment avait-il pu manquer ça ? Aliénor avait dû employer de quoi l’affaiblir avant de lui prendre sa chair, c’était la seule option. Un vampire ne pouvait pas être blessé aussi facilement d’ordinaire.

            — Que se passe-t-il maintenant ? demanda Ghislain. Montre-moi la retransmission.

            Il s’arrêta net. Du bruit. Il y avait du bruit à l’extérieur. Luc avait donné l’alerte. Comment avait-il fait ? Ghislain n’avait que peu de temps devant lui. D’un geste vif, il saisit l’homme par le col et l’attira à lui.

            — Vous aviez promis ! hurla Luc.

            — Les vampires n’ont aucune parole et tu m’as trahi, glissa Ghislain.

            Il enfonça ses canines dans le cou de sa proie, aspirant le sang avec rapidité sans se soucier de la victime. Une vague de jouissance le submergea. Luc ne cessait de hurler, entre la souffrance et l’extase. Grisé, Ghislain lâcha son cadavre et se précipita vers la fenêtre. Pendant quelques instants il serait invincible. Le vampire se précipita à l’extérieur. Il savait qu’il ne craignait rien ; s’il se pressait tant c’était parce qu’il devait prévenir Aliénor. Elle était en danger. Ils l’étaient tous. Il devait l’avertir avant qu’il ne soit trop tard.

 

***

 

            La potion était presque prête. Aliénor regardait Philibert s’activer avec curiosité. Ses gestes étaient précis, sûrs. Il avait récolté une mèche de sa fourrure lorsqu’elle avait fini de repousser, quelques heures auparavant. Aliénor se sentait heureuse. Bientôt, elle pourrait partager son impression d’être enfin entière avec le monde. Quand ce serait fait, quand les différences entre humains et créatures magiques auraient disparu, elle se rendrait chez Ghislain et ils auraient une longue discussion. Ils se réconcilieraient. Il aurait compris à quel point il avait eu tort.

            — Je pense que c’est prêt, dit Philibert.

            Aliénor s’approcha. Le sorcier plongea une fiole dans le chaudron et en retira un liquide translucide.

            — Je sais, ça n’a l’air de rien, admit-il. Mais cette potion va changer le monde. Je te le promets.
            — Je te fais confiance, dit Aliénor.

            — Il ne reste qu’à attendre quelques minutes que ça ait refroidi, ajouta-t-il. Tiens-moi la fiole pendant que je fais disparaître la marmite. Je ne voudrais pas que ma recette tombe entre de mauvaises mains.

            Aliénor acquiesça. Elle prit la fiole avec un sourire. Le récipient brûlait le creux de sa main, mais cela ne la dérangeait pas. Bientôt, ce serait fini. Philibert se saisit d’un seau d’eau qu’il versa dans le reste de la potion pour la diluer. Il déversa le tout dans l’âtre, éteignant le feu dans une flamme verte.

            — J’ai hâte, glissa Aliénor.

            — Moi aussi, reconnut Philibert en s’asseyant à côté d’elle. J’espère que ça marchera.

            — Ne doute pas de toi, l’encouragea la lycanthrope. J’ai confiance. Et même si cela ne marche pas cette fois, nous ne renoncerons pas. Nous retenterons notre chance.

            — Tu as raison, dit Philibert d’un ton nerveux. Je ne dois pas m’affoler.

            Au creux de sa main, Aliénor sentait le liquide refroidir.

            — Combien de temps ? demanda-t-elle.

            — Je ne sais pas, avoua Philibert. Pas trop pour ne pas que l’effet retombe. Lorsqu’elle sera tiède, je pense que ce sera parfait.

            — Tu veux la récupérer ? demanda Aliénor. C’est l’œuvre de ta vie. Il me semble normal que tu t’en occupes.

            Philibert sourit.

            — Non, je veux que ce soit toi qui le fasses, répondit-il. Rien de tout ceci ne serait possible sans toi. Tu l’as mérité. Quand tu te sentiras prête, laisse tomber la fiole au sol. Ce sera suffisant. 

            Aliénor laissa le silence s’installer sur la salle. Elle aurait aimé poser d’autres questions, savoir comment cela marchait... Cela n’aurait bientôt plus d’importance. Se souviendrait-elle seulement de ce moment ? Elle n’en avait aucune idée. Aliénor décida de profiter du moment. Elle fermait les yeux lorsqu’elle entendit un grand fracas. La porte venait de voler en éclats.

            — Arrêtez ! hurla Ghislain en se ruant dans la pièce.

            Philibert s’était levé et battait en retraite contre un mur. Aliénor ne bougea pas.

            — Bonjour Ghislain, dit-elle d’une voix calme. Comme tu peux le voir, il ne se passe rien en ce moment. Il n’y a rien à arrêter.

            Pris de court, le vampire la dévisagea sans rien dire. Du sang coulait le long de ses lèvres et ses yeux étaient fous de fureur. Soudain, il se ressaisit.

            — Tu mens ! s’écria-t-il. Tu as une fiole dans la main !

            Aliénor sourit.

            — C’est exact, dit-elle. Philibert me l’a confiée. Nous allons pouvoir mettre fin aux inégalités grâce à elle.

            — Parce que cela tuera toutes les créatures magiques ! répliqua Ghislain d’une voix où pointait une teinte d’affolement.

            Aliénor ne bougea pas. Elle lui lança un regard interrogateur. Où était-il allé chercher cela ? Mieux valait le laisser à ses élucubrations jusqu’au bout, cela le calmerait. À la surprise d’Aliénor, Ghislain ne s’emporta pas. Il s’apaisa, comme s’il cherchait à rassembler ses pensées. Comme si son but n’était pas de l’énerver mais de la convaincre quel qu’en soit le prix.

            — Je sais que tu crois cet homme contre toute logique et toute attente, dit-il. Mais j’ai la preuve qu’il ment, Aliénor. J’ai mené mon enquête. Ce n’est pas un sorcier comme les autres. Les humains l’utilisent pour trouver les créatures magiques et les détruire. C’est ce qu’il cherche à faire. Si tu lâches cette fiole qui, je suppose, contient la potion dont tu m’as parlé, nous serons anéantis. Toutes les créatures magiques. Il ne restera personne.

            — C’est faux, répondit Aliénor d’une voix posée. Les créatures magiques seront l’égal des êtres humains. C’est ce que m’a dit Philibert.

            — Je confirme, c’est ce que je lui ai dit, renchérit le sorcier d’une petite voix.

            Ghislain lui lança un regard assassin.

            — Je m’occuperai de vous quand j’en aurai fini, dit-il d’une voix glaciale. Si vous tenez au peu de vie qu’il vous reste, je vous conseille de vous taire.

            — Crois-tu me convaincre par des menaces ? intervint la lycanthrope. Depuis le début, tu ne lui as laissé aucune chance !

            Pourtant, elle sentait l’inquiétude l’envahir. Et si Ghislain avait raison ? Si elle était en train de les risquer ? Elle ne voulait pas être responsable de la disparition des créatures magiques. Elle voulait les libérer.

            — Je ne lui ai laissé aucune chance parce qu’il n’en mérite aucune ! reprit Ghislain. Il est là pour nous éliminer ! Les humains le savent ; il utilise ses pouvoirs pour retransmettre ce qui se passe dans cette pièce. Je n’ai pas eu le temps de découvrir comment Philibert parvient à capturer notre image et à la démultiplier pour qu’ils puissent être témoins de son triomphe. Il te dit qu’il mettra fin aux inégalités et c’est vrai parce que nous n’existerons plus !

            — Prouve-le, dit Aliénor.

            Le doute s’insinuait dans son esprit. Ghislain lui sourit d’un air gêné.

            — Je suis désolé, dit-il. J’avais une proie mais...

            — Tu l’as achevée, compléta la lycanthrope avec un soupir. Et tu me demandes de te croire sur parole.

            Le regard de Ghislain se fit suppliant.

            — S’il te plaît, dit-il. Nous nous connaissons depuis si longtemps... Pourquoi le croirais-tu plutôt que moi ?

            Aliénor sentit les larmes lui monter aux yeux.

            — Parce que j’ai envie de le croire, avoua-t-elle. Je veux croire qu’un tel monde est possible. Je suis sortie dans la rue, Ghislain. Sous ma forme humaine. Je me suis sentie acceptée, libre. Je veux que tout le monde puisse ressentir cela. Toi plus que tout autre. Nous méritons une telle vie. Je ne peux plus vivre en paria. Je ne veux pas retourner en arrière. Je dois essayer.

            — Tu vas tous nous tuer, murmura Ghislain.

            — À la réflexion, ne sommes-nous pas déjà morts ? demanda Aliénor d’une voix douce. Les créatures magiques sont des revenants qui n’ont pas trouvé le repos. Peut-être est-il temps pour nous de le faire. Peut-être nous sommes-nous trop longtemps attardés. Peut-être que notre disparition serait bénéfique.

            — Ce n’est pas ta décision ! s’écria le vampire.

            — Philibert m’a laissé cette décision, précisa la lycanthrope. Et je décide qu’une vie telle que nous la connaissons ne vaut pas la peine d’être vécue. Nous ne méritons pas cet entre-deux. Soit nous serons tous libres et égaux, soit nous disparaîtrons... Et ce n’est pas si grave.

            Ghislain se mit à hurler. Il poussa un cri monstrueux, de toute sa colère, du fond de ses tripes. Il se tourna vers Philibert.

            — Vous ! rugit-il. C’est votre faute si nous en sommes là ! Je vais vous anéantir ! Aliénor, je refuse de te faire du mal mais je le tuerai si tu ne renonces pas !

            Sans attendre, il sauta à la gorge du sorcier et lui planta ses crocs dans la gorge.

            — Arrêtez ! hurla la lycanthrope.

            Elle lâcha la fiole, qui s’écrasa au sol.

 

***

 

            Ghislain jeta un regard fatigué à sa montre. Aliénor était en retard, comme d’habitude. Le pire c’était qu’elle avait toujours une bonne excuse. Le jeune homme vérifia d’un geste mécanique que les pass vip se trouvaient dans la poche intérieure de sa cape. Il avait hâte de pouvoir entrer ; cette soirée s’annonçait comme le plus beau Halloween de sa vie. Pour être honnête, la file d’attente n’était pas longue. Il avait donné rendez-vous à son amie tôt pour avoir une meilleure table. Connaissant sa situation financière, il devrait l’inviter s’il voulait profiter de sa compagnie. Ghislain jeta un regard autour de lui. Il n’était pas le seul à avoir choisi un costume de vampire mais il trouvait le sien réussi ; il y avait mis le prix. Enfin, il aperçut la silhouette de son amie entre deux tombes.

            — Ali ! s’écria-t-il en lui faisant un signe de la main.

            — Ghis ! répondit-elle en s’approchant.

            Ghislain retint un grognement. Malheureusement, elle n’était pas seule. Elle était accompagnée de Phil, son petit ami. Ghislain n’aimait pas Phil : il le trouvait arrogant, faussement timide, trop gentil pour être honnête. Il n’en avait jamais parlé avec Aliénor parce qu’il respectait son choix, mais il aurait préféré se passer de la compagnie de cet homme.

            — Désolée, nous sommes en retard, glissa Aliénor en arrivant à sa portée.

            — Ce n’est pas grave, les portes ne sont pas encore ouvertes, dit Ghislain en cachant son exaspération sous un sourire poli.

            — Salut, dit Phil.

            Ghislain lui répondit par une poignée de main.

            — Tu t’es déguisée en loup-garou ? s’étonna le jeune homme en regardant la tenue de son amie. Pourquoi ? Ça n’existe pas !

            — Les vampires laids non plus mais regarde-toi, répliqua Aliénor avec un sourire malicieux.

            — Très drôle, dit Ghislain. Et toi Phil, qu’est-ce que tu es ?

            — J’ai choisi sorcier, expliqua-t-il.

            Ghislain retint un soupir. C’était le comble du banal. Et même pas dans le thème : l’invitation précisait que les costumes devaient être en lien avec les créatures magiques.

            — C’est génial d’avoir organisé cette soirée dans un vrai cimetière, remarqua Aliénor. C’est effrayant.

            — Je dois reconnaître que la décoration est bien faite, dit Ghislain.

            — Et créer un bar dans un vrai mausolée, près des squelettes... ajouta Phil.

            — J’espère que les animations seront à la hauteur, ajouta sa compagne.

            Ghislain se tourna vers l’entrée.

            — Nous allons vite le savoir, constata-t-il. Ça ouvre.

            Il ne se sentait pas effrayé. Au contraire, il ne pouvait empêcher une impression de familiarité de se préciser dans son esprit. Il avait la sensation d’être déjà venu ici. Lorsqu’il pénétra dans la salle, il sut exactement où il devait s’asseoir : au fond, près du bar, Aliénor en face de lui, prêt à passer une bonne soirée. Oui, Ghislain en avait la certitude, cet Halloween serait parfait. La plus belle fête qu’il ait jamais vécu. Il se sentait l’âme d’un vampire, ce soir. Il était prêt à boire un verre chez Sombres Tombeaux.

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Merci Patdragon, d'autres nouvelles viendront à chaque refus d'une maison d'édition !
Répondre
P
Merci pour ce bon moment j'espère en avoir d'autres..... belle balade entre deux mondes .
Répondre
Au fil des étoiles
  • Bienvenue sur le blog d'Ambre Melifol, auteur de l'imaginaire ! Venez suivre mon parcours vers l'édition, une tentative après l'autre. Textes rejetés, admis, appels à texte en attente... Tout est là ! Merci de votre soutien !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Pages
Publicité