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Au fil des étoiles
19 novembre 2016

Mon parcours pour "bien" écrire (ou la difficile formation de l'auteur en France)

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Je me souviens avec précision de la première fois où j'ai évoqué l'idée d'être écrivain avec mes parents. J'étais à l'école primaire et j'adorais écrire des histoires avec "mon atelier d'écriture", un logiciel de traitement de textes pour enfants. J'ai encore ma première nouvelle de deux pages et je la trouve assez dingue pour être honnête, j'attends le bon appel à textes pour l'adapter. Cette première et unique discussion avec mes parents a modelé le reste de mon comportement pour les années qui ont suivi (une petite vingtaine ?) jusqu'au moment où j'ai été assez mature pour m'en détacher et la comprendre. Parce que la réaction de mes parents a été de me dire, pour résumer "Tu ne peux pas devenir écrivain si tu ne sais pas bien écrire. Et pour ça, il faut d'abord que tu aies un vrai métier".

A la suite de cette conversation, je n'ai plus jamais parlé sincèrement d'écriture avec mes parents. J'aurais peut-être dû ? En tout cas, des années de réussite scolaire venaient de s'inscrire dans le marbre. Je devais savoir "bien" écrire et avoir un "vrai" métier. Avec le recul, je comprends leur réaction. Pour eux, écrivain était un vrai métier, c'est d'ailleurs, je n'en doute pas, un métier prenant, passionnant et chronophage. Je pense que ce qui leur faisait peur, c'était sa précarité et ses chances minimes de réussite. Ce que je peux concevoir aujourd'hui, en tant qu'adulte.

La question du "bien" écrire, elle, reste plus complexe. Dans leurs mots comme dans les miens, "bien" écrire renvoyait à l'orthographe. Il leur était impossible d'imaginer un écrivain faisant des fautes et pendant longtemps, moi non plus. Au fur et à mesure que j'entrais dans l'adolescence, puis dans l'âge adulte, j'ai commencé à entendre le contraire : un écrivain pouvait faire des fautes puisqu'elles étaient corrigées par l'éditeur. Ce qui importait, c'était l'histoire. Vous imaginez ma déception face à cette nouvelle. Tous les efforts fournis me semblaient vains (spoiler, ils ne l'étaient pas, heureusement). Pourtant, je n'ai pas renoncé à la voie de l'apprentissage de la langue par les études : c'était une question de dignité. Je ne voulais pas être n'importe quel écrivain, je voulais être un écrivain qui écrivait "bien" selon mes standards, et ils me semblaient plus hauts que ceux de n'importe quelle maison d'édition.

J'ai donc suivi un cursus classique quand on veut apprendre à écrire sans fautes, le seul disponible en France, à vrai dire. J'ai toujours aimé lire, donc j'ai lu. Plus tard, j'ai privilégié les matières littéraires au lycée, mais aussi les langues anciennes et étrangères pour enrichir mon vocabulaire (sauf l'allemand, parce que bon, faut pas pousser). C'est tout naturellement que j'ai obtenu un bac littéraire. Renonçant aux sirènes de l'université, je me suis orientée vers la voie de "l'excellence", celle de la classe préparatoire littéraire, pendant trois ans. A la sortie de ces classes, une vague de découragement m'a envahie pendant plusieurs mois. Oui, je savais écrire sans fautes, je savais "bien" écrire, mais je n'étais pas plus proche de mon rêve d'écrivain que lorsque j'étais à l'école primaire. Je n'avais jamais vraiment cessé de créer des histoires, mais je n'avais rien publié, rien fait. Tout restait à accomplir.

De plus, j'étais à présent trop avancée dans mon cursus pour m'en dédouaner. J'ai donc enchaîné mon master, puis une année d'agrégation (que je n'ai pas obtenue) durant laquelle j'ai obtenu mon capes et à la suite de laquelle j'ai fait une demande de bourse pour continuer (pourquoi m'arrêter en si bon chemin ?) pendant trois ans en doctorat. Par chance, cette bourse m'a été refusée, me forçant à entrer dans la vie active... Mais pas tout de suite. En effet, j'avais demandé une dérogation à l'éducation nationale pour pouvoir faire ma thèse, et elle m'avait été accordée. Alors que je n'avais pas la bourse nécessaire. Je me suis donc retrouvée en année sabbatique par la force des choses. Grâce au soutien financier de ma mère, je n'ai pas eu besoin de travailler cette année-là (merci, merci, merci).

De ce parcours, j'ai retenu plusieurs choses. Pour "bien" écrire, il me paraît évident que la maîtrise de la langue française est indispensable. Je ne dis pas que tout le monde doit se précipiter en classe préparatoire, je dis que tout le monde doit chercher un enseignement de la langue qui lui corresponde et qui lui permette de maîtriser sans trop de difficulté la syntaxe courante, une grammaire qui tienne la route (et qui donc prenne en compte le subjonctif), et une orthographe acceptable. Mais ce n'est pas suffisant. Pour "bien" écrire, il faut lire, et si possible être en contact avec de bons textes. Et pour cela, quelques classiques me semblent un passage obligé. Pas pour apprendre à écrire sans faute, mais pour comprendre ce que c'est que d'avoir un style. Lisez un pompeux Victor Hugo, un technique Jules Verne, un Proust aux phrases allongées, un succinct Maupassant, un Diderot aux mots malicieux, et faites-vous votre propre idée de ce que c'est, "bien" écrire.

Ensuite (et je l'ai appris pendant mon année sabbatique), oubliez ce que vous avez appris. Pourquoi ne me suis-je pas penchée vers l'édition plus tôt ? Parce que je ne pensais pas le mériter. Il m'aura fallu trois ans après la fin de mes études pour oser sauter le pas. Trois ans durant lesquels j'ai remis en question mon rêve, j'ai bataillé avec l'idée de reprendre des études (auxquelles je ne renonce pas, mais qui sont passées au second plan), de gravir encore quelques échelons pour atteindre cette "excellence française", cet idéal de perfection qui n'existe pas. Parce que ce que mes parents ne m'ont pas dit quand j'étais petite, et que j'en suis venue à comprendre, c'est que le parcours scolaire le plus brillant ne remplacera jamais l'enthousiasme primaire de l'écriture d'un texte, la passion simple de laisser son imaginaire s'exprimer librement. Ce que je n'avais pas compris, c'est que les mots ne sont qu'un outil qui servent à exprimer une idée et que sans idée première, rien n'est possible.

Il me paraît aujourd'hui essentiel, dans tout processus créatif, de se détacher de la formation reçue. Quelle qu'elle soit. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir beaucoup appris lors de mes études. Je ne regrette pas mon parcours. Mais en parallèle, j'ai l'impression d'avoir perdu beaucoup de temps. Que se serait-il passé si je m'étais lancée tout de suite, à fond, depuis l'école primaire jusqu'à aujourd'hui, sans me fixer cet objectif ? J'en serais venue à "bien" écrire aussi, j'en suis sûre. Mais j'aurais plus d'expérience, un style différent, et qui sait, peut-être un univers personnel plus original, plus marqué ?

Pour conclure, je ne pense pas que le parcours que j'ai suivi soit le plus simple pour "bien" écrire. J'ai fini par atteindre mon but par des chemins détournés, et je ne suis pas encore arrivée à destination. Le développement des "master class" et des ateliers d'écriture, à l'étranger comme en France, m'intéresse autant que je le crains. J'ai peur qu'il n'existe plus qu'une façon formatée d'écrire. Parce que ce que j'ai appris, c'est que "bien" écrire, c'est avant tout relatif. Bien sûr, il y a certains codes communs dont il nous est impossible de se passer. Mais pour l'essentiel, "bien" écrire repose sur l'originalité de l'auteur... Et surtout sur l'opinion du lecteur. Qui sommes-nous pour décréter à sa place ? C'est à lui de se laisser porter et de juger sur pièce. Au final, il n'y a plus de formation ou d'auteur. Il n'y a que le texte.

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